Auto-stop : Échange avec une prostituée


Un fois n’est pas coutume, je vais partager un court récit de voyage avec vous ici plutôt que sur Moi, mes souliers. Vous comprendrez très vite pourquoi.

En vue du SunTrip, J’ai commencé à apprendre le russe à l’aide d’audiocours et je les récite religieusement en marchant vers mon point d’auto-stop. À la sortie habituelle de Francfort, il y a des travaux et je dois tenter le coup un peu plus loin, ignorant si le design urbain se prête bien à l’arrêt de véhicules. Je tente le coup à plusieurs endroits, surchargée de bière à ramener à des amis à Wiesbaden, à 40 bornes de là.

Impasse de la pute

Sur mon chemin, je passe une grande blonde perchée sur des talons, vêtue d’une jupe assez courte en denim délavé, les yeux cachés derrières d’immenses lunettes fumées. Elle attend en bordure de route. Un homme est assis plus loin sur le garde-fou. Je reconnais là une autre « professionnelle de la route », d’un genre assez différent, mais elle fait mine de ne pas me voir.

Je me rends plus loin et tente de faire du stop un bon moment. Non seulement ça ne marche pas, mais plusieurs hommes sortent une main de la voiture et font un signe que je ne connais pas avec les doigts. Je suppose que c’est une sollicitation alors je décline systématiquement.auto-stop Francfort

Le temps passe et je décide de laisser tomber car je suis attendue et le billet de train ne doit pas être si cher. Seulement, juste remarcher vers la station va me prendre trois quarts d’heure….

La femme est toujours là, assise cette fois. Je répète mes mots en russe et cette fois-ci, elle semble réagir. Je m’approche et lui lance un « добрый день » (bonjour) bien poli. Je vois à travers ses verres fumés, à contre-jour, elle me regarde et ne dit rien. S’ensuit mon monologue en allemand simple.

– Vous comprenez l’allemand ?

Elle ne répond ni ne hoche la tête.

Prostituée pute
Source : Flickr – jpereira_net

Elle reste de marbre.- Là, c’est ton mari ?

– C’est ton patron ?

Ses yeux s’ouvrent et ses lèvres se pincent.

– Je peux parler avec vous ?
Da. Du kannst.

J’avais ouvert une porte. L’homme au loin ne nous regardait pas. Je fais le geste de la main en lui demandant :

– Ça, ça veut dire travailler ?
– Oui
– Ici, vous travaillez ?
– Oui
– Tu es Russe ? Je suis Canadienne.

J’ai dit ces derniers mots en Russe, visiblement, elle est surprise.

– Je parle très peu Russe, j’apprends. Je fais de l’auto-stop. Dans les voitures, je voyage.
– Je sais. C’est bien. Je suis désolée. Mon travail….

Je lui adresse un grand sourire.

– C’est bon, ça ne fait rien. Tu fais beaucoup d’argent ?
– Je ne sais pas.
– Pourquoi, il ne te dit pas ?
– Non, je ne veux pas compter.

Les putes espagnoles doivent porter une veste fluorescente lorsqu'elles travaillent en bordure de route
Les putes espagnoles doivent porter une veste fluorescente
lorsqu’elles travaillent en bordure de route

Je suis grisée par la rencontre, mais je dois reprendre la route et la laisser travailler. Je me dis que toutes ces fois où j’ai croisé des femmes qui travaillent sur l’autoroute, j’aurais pu leur parler… Et la prochaine fois, je leur demanderai la permission de le faire. On est sur le même bitume, peut-être pas dans le même bateau, mais nos vies sur la route sont liées. On sait qui on est, on se reconnaît.

J’ai vu plus de prostituées sur la route que je n’y ai vu d’auto-stoppeuses. Pour alimenter le cliché, dans certains pays, on les appelle Natasha, ces filles de l’Est travaillent sur les aires d’autoroute, sur les rocades, dans les secteurs industriels. Ces derniers sont souvent à la fois de très bons spots pour quitter une ville et des endroits à risque pour les auto-stoppeuses dont on confond l’intention.

J’émets l’hypothèse suivante : parfois, cette confusion est suffisante pour engendrer une frustration dangereuse qui peut glisser vers l’agression d’une auto-stoppeuse. C’est d’ailleurs une situation qu’a évoquée l’agresseur d’une de mes copines, lorsqu’il a rappelé un numéro qu’elle avait composé sur son portable à lui : « J’avais mal compris, je me suis emporté. Je veux m’excuser et embrasser ses pieds… »

Deux fois plutôt qu’une, je préfère clarifier que je ne suis pas une prostituée. Et par respect pour elles, je n’insulte pas ceux qui nous confondent. Je refuse poliment, fermement et je passe à autre chose.

Je n’ai jamais eu de problème suite à une requête sexuelle débusquée rapidement et déclinée. Par ailleurs, ce ne sont pas pour moi de mauvaises expériences. J’y suis presque indifférente.

Avez-vous souvent croisé des prostituées sur la route ? Leur avez-vous adressé la parole ?

20 Commentaires for “Auto-stop : Échange avec une prostituée”

Tommy Quist

dit :

Sorry about writing in English. My reading skills in French are fine, but I can’t write it to save my life.

I’ve seen one or two in Romania and Bulgaria. The first time I crossed the border between those the (Romanian) driver told me

« Hey, man, we in Bulgaria now. You get madam here for five euro. »

The ones I’ve seen were from a car, and so I haven’t had the opportunity to talk to them. Honestly I can’t imagine I would, I guess I would feel like I’m bothering someone at a store, when I’m not there to buy anything. I’d probably greet them, but that would be it.

Anick-Marie Bouchard

dit :

J’ai pensé qu’il serait bien de les aborder parce que nous le faisons systématiquement entre auto-stoppeurs, et nous saluons parfois les routiers aussi. Alors pourquoi pas les autres habituées de la route ? C’est mon raisonnement. En tant que femme, j’ai un mélange de malaise et de sympathie face à ces autres femmes de la route avec lesquelles on me confond trop souvent.

tanned-tourdumonde

dit :

J’ai lu le récit avec attention! J’avais fait du stop aussi à Francfort mais pour aller en France mais je n’ai pas vu ce genre de scène.

Personnellement, je n’en ai jamais croisé mais l’histoire est intéréssante!

Guillaume

dit :

Je n’en ai jamais croisé de près et je saurais vraiment pas quoi leur dire. Que peut-on y faire? Dois-t-on essayer de leur parler? Elle disait qu’elle travaille, ça semble dangereux de la déranger, surtout pour elle-même, non? Je ne sais rien, je demande…

Almonzo

dit :

très bon article. petite question, rien à voir avec le sujet, c’est quoi tes audiocours de russe ?

Anick-Marie Bouchard

dit :

J’utilise les audiocours de Pimsleur que j’ai récupérés dans une bibliothèque. Sans t’inciter à les télécharger, ils se trouvent facilement en torrent. Par contre, il faut déjà bien connaître l’anglais. Je n’ai pas trouvé d’équivalent depuis le français.

Valentina Itsoc

dit :

J’ai une très chère copine qui a fondé, avec une moins d’une dizaine d’autres personnes, une association en Italie (comme d’autres ont déjà fait), contre la traite des être humains, notamment chez les filles prostituées. Ce sont des gens qui dédient quelques soirs par semaine à la route aux alentours de leur ville et à toutes le créatures qu’y travaillent. Ces bénévoles passent leur soirée en voiture en s’arretant auprès des filles/garçons qui travaillent au bord de la route, aux stations de service, aux arrêts du bus et leur offrent une the chaud, une capote, une oreille et un numero de téléphone à appeller en cas de besoin. Puis si le contact se crée, si celle/lui qui est sur la route n’est pas guetté par son propre exploiteur, la relation se pousse un peu plus loin: les histoires de vie sont dévoilées, les préoccupations émergent, jusqu’à découvrir que un service de santé gratuit et ouvert à tous existe et à en profiter pour des dépistages, interruptions de grossesse, des conseils. jusqu’à arriver parfois à refléchir à un depot de plante, à un changement de vie.
Ces gens qu’on n’a pas la possibilité d’approcher parce qu’on les voit quand on est de passage, sont des êtres humains comme nous, qui ont un parcours de vie surement difficile, qui se cachent parfois derriere une souffrance qui a construit une carapace à leur âme.
Merci de tes mots, du respect que tu leur témoignes et du message que tu fais passer avec cet article. Pour que personne ne se demande plus si ça a du sens leur parler, de tenter de casser le mur des distances qu’il y a entre leur vie et notre « bonne société de personnes acceptées » et leur redonner, ne fût que pour 1 minute la légitimité d’être humains.

Anick-Marie Bouchard

dit :

Merci de ton commentaire/témoignage, il me renforce dans ma démarche. J’ai des connaissances qui font de l’escorting ici au Québec, je connais le milieu et le respecte. Par contre, la prostitution de route est selon moi plus propice à des relations d’exploitation sexuelle. Je suis pour la liberté des femmes de disposer de leur corps ET tout à fait contre leur exploitation.

Une manière d’éviter le préjugé est de comprendre. Je continuerai à poser des questions, à bâtir des ponts chaque fois que possible !

Au passage, ton amie pourrait-elle nous dire si ça pourrait les mettre en danger de les aborder comme ça, comme l’un des commentaires ici le suggère ?

herrmikado

dit :

Marrant, je suis arrivé là par un total hasard et je lis des trucs sur un coin que je connais, puisque j’ai vécu 2 ans à Wiesbaden 🙂

C’est un récit intéressant à lire, et aussi surprenant puisque je n’ai jamais vu, ou remarqué, de prostituées dans ce coin là. Ceci étant, je suis très rarement allé à Francfort, me contentant surtout de faire (trop souvent) l’axe Paris/Wiesbaden, et vu que c’est un axe moins fréquenté, c’est probablement pas le meilleur spot, ce qui explique peut-être donc ça.

En tout cas c’est sympa de voir des récits d’auto-stop. En pas mal d’années d’échanges « intensifs » entre la France et l’Allemagne, je n’ai vu qu’à quelques reprises des auto-stoppeurs/peuses. Et d’un naturel plutôt méfiant, je ne me suis jamais arrêté. Mais plusieurs fois j’ai regretté un peu, me disant que ça pouvait être là l’occasion de rencontrer des gens qu’on ne rencontrerait pas normalement, et ça peut des fois être très intéressant! Lire ce type de témoignages me permettra peut-être une fois de passer au-delà de cette méfiance 🙂

Bref, témoignage sympa, thanks et bonne continuation 🙂

Anick-Marie Bouchard

dit :

Merci pour ton message 🙂 Je vais continuer à poster des témoignages (un peu au compte-gouttes je sais !) et à donner des points de vue féminins sur la pratique.. Parce que c’est un contre-discours et ma réalité !

Au passage, j’ai pris 9 auto-stoppeurs ou auto-stoppeuses avec moi cet été lorsque j’avais une voiture… La roue tourne !

Julien

dit :

Je me suis toujours retenu. Déjà j’aurais besoin d’expliquer que je ne suis pas client potentiel, et chaque minute que je passe à leur tenir le bavoir leur en fait potentiellement manquer.

Quand je fais du stop, j’aime pas trop quand le quidam vient me faire causette. Je me dis que ça doit être la même pour eux.

C’est des excuses pour rester dans mes pantoufles?

Globestoppeuse

dit :

C’est rigolo ça… Tu vois j’ai l’impression qu’elles savent assez bien que tu n’es pas un client potentiel. Par contre c’est clair que l’on fait fuir la clientèle. C’est très rare que la curiosité l’emporte sur l’inconfort dans ces situations !

Nina

dit :

J’ai demandé des directions à un groupe de travailleuses de sexe en mini-jupes au bord de la route en Hongrie une fois. Elles étaient un peu malpolies, elles n’avaient clairement pas envie que je traîne trop. Peut-être elles croyaient que je leur adressais la parole « par faute », j’avais pourtant bien compris ce qu’elles faisaient…

Globestoppeuse

dit :

J’ai aussi ressenti que je dérangeais lorsque j’ai fait mon voyage à vélo solaire, aussi j’essayais de prendre mes pauses que sur les parkings inoccupés. Mais en Bulgarie, c’était quasi impossible ! >< J'ai fait des dizaines de kilomètres avant de trouver un spot libre, la compétition est rude !

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