Je n’ai jamais rencontré Diane en personne, mais c’est une personne que je suis de près sur Facebook depuis notre prise de contact. Militante, elle n’a pas froid aux yeux et ose aborder des sujets parfois tabous ou délicats, ce qui rend d’autant plus intéressants nos échanges.
Quand j’ai appris qu’elle faisait du stop, j’ai espéré qu’elle accepte de partager son vécu avec mes lectrices. Il est rare d’avoir des témoignages de première main de personnes trans qui font de l’auto-stop.
En cherchant à comprendre les spécificités du voyage au féminin, on me demande souvent en quoi l’auto-stop est différent pour un homme et pour une femme. Ma réponse ne peut qu’être subjective et partielle puisque je n’ai que l’expérience d’être au monde en tant que femme. Cependant, Diane est l’une des rares auto-stoppeuses à pouvoir comparer deux expériences : celle d’être perçue comme un homme et celle d’être perçue comme une femme par ses conducteurs.
Dans une démarche féministe, c’est donc un début de réponse provenant de sa propre expérience.
Sans plus attendre découvrez une nouvelle autostoppeuse fantastique, Diane !
Qui es-tu ? Présente-toi en quelques mots pour les lectrices de Globestoppeuse.
Bonjour à toutes ! Je m’appelle Diane, je suis une artiste-photographe vivant à l’Île de la Réunion, mais je compte m’installer en métropole dans le courant de l’année avec ma petite famille. Même si je n’ai pas l’occasion de voyager beaucoup, depuis que je suis sur mon île minuscule, je suis une nomade et aventurière dans l’âme. J’aime parcourir les jungles et les montagnes réunionnaises en solitaire, passer des nuits à marcher sous la pleine lune dans la caldeira désertique de la Fournaise, voir venir le brouillard et la pluie dans les forêts d’altitude, perchées au bord des remparts vertigineux caractéristiques de cette île. Plus le lieu est sauvage et les conditions difficiles, plus je me sens vivante ! Et, après avoir visité plusieurs pays à titre de simple touriste, j’ai pour projet d’organiser des expéditions photo dans les derniers lieux à peu près inexplorés de la planète, les plus sauvages et préservés.
J’ai aussi pour particularité d’être une femme transgenre, ayant fait une transition. Je le précise car ça me donne un point de vue très particulier sur le stop, et j’aimerais vous en parler !
Tu es une auto-stoppeuse. Que penses-tu de l’auto-stop ? Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
J’ai commencé le stop plus par besoin que par goût. Ayant des revenus très modestes, rares sont les périodes de ma vie où je possède une voiture. À la Réunion, à part dans le chef-lieu de Saint Denis, les transports en commun sont une véritable catastrophe, dénoncée depuis des années par tou·te·s les habitant·e·s de l’île. De plus, le territoire est souvent difficile d’accès, en particulier les montagnes de l’intérieur et les cirques qui sont très enclavés. Il est donc difficile de s’y déplacer lorsqu’on ne possède pas un moyen de locomotion personnel. Du coup, je fais du stop très souvent, quasiment tous les jours, c’est devenu mon moyen de déplacement à 95%.
J’ai fini par apprécier le stop, pour les rencontres et la touche d’aventure qu’il apporte. Chaque trajet apporte sa part d’imprévu et j’adore ça. C’est aussi une énorme liberté, financière tant que matérielle, de ne pas dépendre d’un véhicule à entretenir, à garer comme on peut, à protéger des éventuels vols, à assurer, etc. J’avoue que le côté écologique vient après, malgré mon engagement général en ce sens… Comme je marche souvent seule, je me fais déposer au départ d’un sentier et refais du stop de l’autre côté du massif pour rentrer chez moi.
Être une femme, et plus particulièrement transgenre, en auto-stop, ça change quoi selon toi ?
Là où ca devient intéressant, c’est que je peux témoigner, de première main, de la différence qui existe, lorsqu’on fait du stop en étant perçu·e comme homme ou bien comme femme.
Avant ma transition, même si je n’en étais pas un, les gens me prenaient pour un homme. Seules mes amies les plus proches avaient senti à qui elles avaient affaire. J’avais l’apparence d’un barbu, gros et imposant, mais plutôt dans le style nounours.
Aujourd’hui, j’ai radicalement changé : j’ai l’apparence d’une femme aux cheveux longs, de corpulence moyenne bien que je reste très grande (1,80 m). Très rares sont les gens qui se rendent compte par eux-mêmes que je suis transgenre lorsque je n’aborde pas le sujet. Je suis donc traitée comme n’importe quelle autre femme. Toutefois, j’ai aussi continué à faire du stop pendant le courant de ma transition, alors que j’avais une apparence androgyne, et cette expérience aussi a été révélatrice…
Les différences que j’ai pu noter pour le stop, entre mes trois phases homme, puis androgyne, puis femme, sont véritablement flagrantes.
Dans ma phase homme, il était d’abord bien plus difficile et plus long de trouver des personnes pour me conduire. Je n’ai jamais fait de statistiques précises sur tout ça, mais j’estime que mon temps d’attente moyen était à peu près de 30 à 45 minutes. Il m’est même arrivé de devoir attendre 2 heures sans aucun résultat, puis de laisser tomber et de prendre le bus. De plus, il n’y avait quasiment que des hommes qui s’arrêtaient. Très souvent, c’étaient de jeunes galériens avec de vieilles voitures, des rastas, beaucoup de nomades et des backpackers dans le lot. Je sentais bien que la solidarité était leur motivation première.
À l’inverse, maintenant que je suis perçue comme femme, le stop me permet de gagner un temps vraiment inouï sur les bus ! Avant, traverser l’île avec les fameux Cars jaunes me prenait bien quatre heures. Maintenant, il me faut généralement deux heures en stop au grand maximum…. J’estime mon temps d’attente à 5-20 minutes en moyenne, soit même pas la moitié d’avant. Il m’arrive parfois même d’être prise par la première personne qui passe au moment où je tends le pouce, c’est magique ! Aujourd’hui, les hommes qui s’arrêtent sont plus souvent des CSP+ (classe socio-professionnelle aisée), avec des voitures neuves voire même de luxe, même si les galériens et les ouvriers s’arrêtent toujours comme avant.
Les femmes aussi s’arrêtent infiniment plus souvent qu’avant : elles représentent maintenant plus d’un tiers de mes statistiques. Et puis, je fais souvent du stop avec mon fils. Quand c’est le cas, nous ne sommes JAMAIS, au grand JAMAIS pris par des hommes, comme par hasard…
Quelle différence vois-tu pour ce qui est de la sécurité et des relations hommes-femmes ?
Ça a beaucoup d’impact sur le stop et sur mon ressenti actuel.
Avant ma transition, même si c’était plus difficile, je n’avais absolument jamais peur de faire du stop, même en pleine nuit. Aucun homme ne me draguait jamais pendant le trajet, ce qui me convenait parfaitement.
Aujourd’hui, je sens bien que beaucoup d’hommes ont des attentes, même les plus respectueux d’entre eux. C’est très certainement inconscient de leur part, enfin… pas pour tous, puisque je me fais draguer très régulièrement. Puisque je ne me déplace quasiment que comme ça et souvent aux mêmes endroits, certains persévèrent même, me prenant plusieurs fois de suite en stop. Ceci, jusqu’à ce que je leur annonce que je suis lesbienne et qu’ils n’ont donc aucune chance, et qu’ils laissent tomber. D’ailleurs après ça, je ne les revois plus. J’ai parfois l’impression d’être de la viande pour eux. Certains ralentissent à ma hauteur pour m’analyser, puis continuent leur chemin. Il m’est arrivé deux fois que l’on m’interpelle au passage, alors que les réunionnais sont généralement des gens extrêmement polis et respectueux.
À chaque jour qui passe, je me sens un peu moins rassurée au moment où je tends le pouce. J’attends, un peu résignée, le jour où je tomberai sur celui qui ne saura pas me respecter…
Plus encore, je sais que si un jour je subis une tentative de viol, je risque bien pire que les femmes cisgenres, à cause de mon statut de trans. Lorsque j’y pense, je suis terrorisée.
Aux États-Unis, la quasi-totalité des États jugent recevable qu’un homme demande des circonstances atténuantes au tribunal lorsqu’il a assassiné une femme, après avoir découvert qu’elle était transgenre. Nous sommes considérées comme des usurpatrices, des menteuses, un danger pour la virilité des hommes qui seraient donc légitimes à se sentir lésés sur la marchandise. C’est ce qu’on appelle la trans panic defense.
En France, même si cet argument n’est pas officiellement accepté, il ne fait nul doute que beaucoup de gens pensent la même chose. D’ailleurs, lors de ma période androgyne, je pouvais très souvent voir la déception et de la gêne apparaître sur leurs visages lorsque, après avoir vu de loin une silhouette féminine, ils s’apercevaient de près à qui ils avaient affaire lorsque je montais dans la voiture. Certains ne desserraient plus les dents de tout le trajet, et ne parlaient que pour garder le strict minimum de politesse. Un jour, l’un d’entre eux m’a même déposée en plein milieu de nulle part, en prétextant qu’il avait finalement changé d’avis pour son trajet.
J’ai toujours fait du stop et je considère que ce n’est pas à moi d’arrêter, de m’adapter aux hommes pour ne plus avoir peur : j’estime au contraire que ça devrait être à eux de changer de comportement.
À l’inverse, je me sens toujours en sécurité et détendue avec les femmes et c’est clairement réciproque. Je suis toujours soulagée qu’une femme s’arrête. Je comprends parfaitement pourquoi elles ne le faisaient pas lorsque j’avais l’apparence d’un homme, je ne leur en ai jamais voulu.
Aujourd’hui, certaines m’aident parce qu’elles sont inquiètes de voir une femme seule faire du stop. D’autres font même carrément demi-tour et s’écartent de leur chemin prévu pour m’avancer au maximum.
J’ai bien conscience que je profite malgré tout de l’intérêt des hommes pour moi, en faisant du stop, puisque c’est ce qui me permet de gagner autant de temps dans mes trajets. Mais comment faire autrement que de jouer selon les règles de ce jeu truqué ? Tous les jours, j’essaie d’apprendre au plus vite ces règles et ces mécanismes de défense, ces calculs prévisionnels que les femmes cisgenres intègrent depuis leur adolescence.
Cet homme a-t-il l’air dangereux ? (sachant que l’habit ne fait pas le moine)
Comment évaluer mes risques sur cette route en particulier ?
Suis-je plus en danger en attendant le prochain quelques minutes de plus sur le bord de cette route de nuit, ou bien au contraire en prenant le premier qui s’arrêtera pour rentrer chez moi au plus vite ?
Maintenant qu’il me drague, comment lui répondre de manière polie et élégante pour ne pas le froisser, pour ne pas prendre le risque de le frustrer et le rendre dangereux ?
Je crois que mon vécu particulier me rend peut-être un peu plus parano que les autres femmes. Et puis, je ne voyage pas (encore) à titre de globe-stoppeuse, je n’ai pas pu comparer des régions entre elles. Mon expérience est certainement différente de celle des backpackeuses dans le reste du monde !
Le fait est que je me sens beaucoup moins en sécurité en faisant du stop, que seule au milieu de la forêt la plus sauvage de la Réunion. Quand on a goûté à la tranquillité qu’apportait le fait d’être perçue comme un mec, il est très difficile de la voir s’envoler en fumée sans en ressentir un peu d’aigreur.
Notez que ce n’est pas pour autant que j’ai eu une vie facile avant ma transition, bien au contraire. J’ai subi énormément de misogynie et de harcèlement lorsque j’étais enfant et adolescente, du fait de ma différence et de mon comportement efféminé. Mais ceci est une autre histoire…
Un conseil pour les femmes qui font de l’auto-stop ?
Je ne sais pas trop si je suis en position de donner des conseils, pour l’instant je suis toujours en période d’apprentissage, si je puis dire. Je ne suis pas une vétérante comme les autostoppeuses fantastiques habituelles ou comme toi, Anick-Marie !
Mais du peu que j’ai pu remarquer, ma manière de m’habiller influe pas mal sur mon temps d’attente. Contrairement à ce que à quoi je m’attendais, les gens s’arrêtent bien plus volontiers lorsque je suis en mode butch (t-shirt de sport Décathlon + jean + baskets + cheveux attachés) ou lorsque je suis en mode sportive pour aller bosser avec mon sac à dos, que lorsque je suis habillée classe et féminine pour me faire plaisir.
Plus particulièrement, dès que j’ai le sac à dos, les gens me prennent pour une touriste et se montrent curieux – je suis née et je vis à la Réunion, mais je suis d’origine zoreille. Ils remarquent mon trépied et me posent des questions sur mon métier. Je suis très clairement privilégiée du fait que je suis blanche et les touristes sont généralement très bien accueillis à la Réunion.
Si vous venez un jour visiter l’île, vous n’aurez absolument aucun mal à faire du stop : à part les réserves que j’émets sur l’état d’esprit de certains hommes, c’est une véritable partie de plaisir ! Vous éviterez de devoir vous frotter avec l’indicible « bonheur » que sont les Cars jaunes… Il faut juste avoir le cran d’attendre en plein soleil dans la chaleur, ce qui n’est pas très agréable.
Dernière remarque concernant la sécurité : à la Réunion, il n’est pas rare de voir des hommes créoles d’aspect plutôt traditionnel circulant avec un sabre, y compris dans leur voiture. Il ne faut surtout pas en avoir peur, du moins pas plus que les autres. Le sabre à canne est un outil extrêmement polyvalent qui leur sert dès qu’ils vont dans la forêt ou pour travailler aux champs. J’en ai un moi-même, que je prends parfois lorsque je dois traverser des zones infestées de pestes végétales ou me fabriquer un abri pour la nuit. Donc si vous en voyez un, pas de panique !
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