Hommage au militant cycliste Gilles Boisvert

Remonter sur son vélo après un accident

La semaine dernière, en rentrant de chez l’esthéticienne, j’ai été renversée par une voiture dans un rond-point. Le genre de situation où je peux être fière de me dire que je n’étais pas en tort, mais que ça me fait une belle jambe (et un beau coude en prime).

Avoir raison et être dans son droit, ça devrait être le moindre de nos soucis quand on est blessée, mais dans le climat de tension sur les routes entre cyclistes et automobilistes, les choses ne sont pas si simples. Autant la conductrice était de bonne volonté, autant l’erreur est humaine, j’ai d’abord eu une grande frayeur et puis j’ai dû me justifier : justifier d’être là (alors qu’on ne m’a pas vue), de ne pas porter de casque à ce moment (je n’ai pas eu de blessure à la tête, je vous rassure), d’avoir été au milieu de la voie (n’y a-t-il pas des pistes cyclables pour les vélos ? Ah non, pas dans ce rond point). Nos assureurs régleront ensuite les choses entre eux…

Je précise qu’à mon sens le casque protège principalement des chutes et a beaucoup plus de sens chez les enfants et dans des usages sportifs, pas forcément en vélo urbain où les accrochages sont les risques principaux. Quand on a vécu aux Pays-Bas, force est d’admettre que la culture du casque n’est pas la même partout… Mais tel est l’état des choses, en France comme au Canada.

Court séjour à l’hôpital : heureusement, rien de cassé. Coupures, ecchymoses, dermabrasions. Je vous épargne les photos un peu gore – je vais un peu mieux à chaque jour qui passe. Par je ne sais quel miracle inouï, mon vélo de route n’a rien : le guidon a beau avoir explosé le rétroviseur de la voiture, la potence un peu lâche a simplement tourné sur son axe. En un coup de clé Allen, tout était redressé.

J’ai quand même décidé de me reposer le plus possible. Moi qui passe 10-12 heures par semaine à faire du sport depuis mes gros changements d’hygiène de vie en mars dernier, je ne me suis pas rendue à la salle de sport de toute la semaine, d’autant plus que des douleurs musculaires secondaires sont apparues quelques jours plus tard dans mon cou et au niveau du sternum. Je me suis déplacée en voiture (en autopartage) pour des rendez-vous en Isère, et même si la conduite m’était désagréable vu les tensions dans mon bras, ça ne m’a pas été pénible. 130 km/h sur l’autoroute, j’ai géré.

Toutes les voitures sont des tanks

J’avais hâte de reprendre le sport, même si j’avais des doutes vu mes blessures encore fraîches. Hier, le temps était venu pour moi de ressortir, dans un beau dimanche tranquille.

C’est en remontant en selle hier par un beau dimanche calme et ensoleillé que j’ai eu des flashbacks. J’ai mis mon casque de peur qu’on ne me prenne pas au sérieux si je me fais renverser à nouveau. Autour de moi, toutes les voitures étaient des tanks. Une tonne de tôle mobile qui peu m’emboutir et me faucher à tout moment. Une dame qui ne me voit pas, une intersection où l’on ne ralentit pas assez ou même une inattention ou une maladresse de ma part, je ne suis rien devant cette tonne à l’inertie si puissante. Assis confortablement dans sa boîte d’acier, le conducteur trouve que 30 km/h, c’est très lent – ma conductrice s’est défendue d’aller « vite » en empruntant le rond-point à cette vitesse.

À chaque infrastructure un peu bancale, je me mettais à trembler, et mon coude douloureux n’arrangeait rien. Oui Chambéry, c’est de toi dont je parle, tout autour de l’avenue des Ducs, ton infrastructure de voies cyclables est catastrophique. Deuxième au baromètre vélo dans ta catégorie ? Il faut croire que la barre est excessivement basse en France…

À chaque bruit de voiture derrière moi, je me retournais compulsivement. À chaque rond-point, je sentais mon corps se crisper. Heureusement que j’ai pu prendre une piste cyclable isolée sur une partie du trajet. La Voie Verte de la Leysse longe la rivière et m’isole sur la moitié de mon trajet quotidien vers la salle de sport. Ce faisant, elle passe devant une passerelle réservée aux piétons et aux cyclistes, la passerelle Gilles Boisvert.

Aujourd’hui, j’ai peur en remontant sur mon vélo et sais que ça passera, quand le stress post-traumatique se dissipera. J’en ai vu d’autres, comme ma côte cassée au milieu du Kazakhstan…  Mais comme j’ai besoin d’espoir et d’exutoire, et comme l’histoire de cet homme dont on a nommé la passerelle me touche terriblement, j’aimerais prendre le temps de vous la raconter.

Le Québécois qui faisait du vélo à Chambéry

Quand je suis arrivée à Chambéry la première fois, c’était dans le cadre du Sun Trip 2013. J’ai tout de suite été surnommée « la Québécoise qui fait du vélo », comme on m’a souvent décrite ailleurs comme « la Québécoise aux cheveux roses qui fait du stop ». J’ai pris le titre avec fierté malgré mon peu d’attachement aux mondes cyclopédiques à l’époque.

Ce que j’ignorais alors, c’est qu’à Chambéry, ce titre était chargé d’histoire. « La Québécoise qui fait du vélo », ça rappelait « Le Québécois qui faisait du vélo », Gilles Boisvert. Malgré une blessure encore à vif, les gens ont fini par ouvrir leur coeur et me parler de lui.

Originaire des Laurentides, Gilles Boisvert avait émigré en Savoie en 1991 et était reconnu dans tout le bassin chambérien comme l’un des pionniers de l’écomobilité – marche à pied, intermodalité, transport en commun…

Surtout, ce grand défenseur du vélo urbain père de deux filles fut directeur de la VéloStation puis initiateur et directeur de l’Agence Écomobilité pendant une dizaine d’années. Il était reconnu pour son militantisme acharné et pédagogue, cherchant à faire changer profondément les comportements et vivant pour ainsi dire pour sa cause.

Le 7 octobre 2012, à l’âge de 48 ans, Gilles Boisvert fut percuté à haute vitesse par une Porsche sur la D1090 à Chapareillan. Le conducteur fut condamné pour homicide involontaire et a écopé de trois fois rien alors même qu’il plaidait non coupable – sursis, suspension de permis, amende.

C’est pour cela que quelques fois, la rencontre avec « la Québécoise qui fait du vélo » a suscité quelques larmes dans les yeux de Chambériens. Ici, mon accent ne rappelle pas toujours Garou ou Céline, mais bien un homme engagé, transformateur et mort au combat.

Il voulait donner l’exemple et je souhaite le suivre. Nous sommes heureux Pierre et moi de vivre à vélo, en auto-stop, en train, en covoiturage, en bus et en autopartage, par ordre de fréquence. En dépit des risques d’accident et des difficultés du partage de la route au quotidien.

J’ai de la gratitude pour Gilles, pour les combats qu’il a menés, pour la vie qu’il y a laissée et c’est souvent à lui que je pense quand je roule ici, en ville ou en montagne, au nom de ma santé mais surtout de ma liberté.

Gilles Boisvert, je me souviens



Inauguration de la passerelle le 9 juillet 2016

Photos courtoisie de la famille de Gilles Boisvert.


N.B. L’article original incluait une photo erronée de la passerelle Gilles Boisvert. Suite à un commentaire de la part des parents de Gilles sur cet article, j’ai rajouté quelques photos de l’inauguration qu’ils m’ont fournies et de nouvelles photos de la passerelle. Lors de mon passage au Québec, nous avons pu nous rencontrer et connecter autour du vélo, des voyages et de l’héritage de leur fils en France. Merci à eux !

4 Commentaires for “Hommage au militant cycliste Gilles Boisvert”

Boisvert

dit :

Bonjour,

Je suis le père de Gilles Boisvert. Je vous remercie de le rappeler au souvenir de tous de façon si sensible et éloquente.

Je vous signale toutefois que la passerelle illustrant votre article n’est PAS la Passerelle Gilles Boisvert! Il s’agit du pont Sainte-Thérèse, du nom de l’église que l’on voit sur la photo. La Passerelle Gilles Boisvert est située à un ou deux km en amont de ce pont, à peu près vis-à-vis la rue de la Papillette au sud et du chemn des Glières au nord.

J’étais à l’inauguration de LA Passerelle Gilles Boisvert en juillet 2016 à l’invitation des autorités de l’agglomération de Chambéry. J’ai des tas de photos que je pourrais vous faire parvenir si je pouvais joindre celles-ci à ce commentaire.

Au plaisir de faire plus ample connaissance,

JRB

Jean-Luc KIRMANN

dit :

Bonjour Monsieur. J’ai bien connu votre fils et son épouse Claire lorsqu’il était acompagnateur montagne aux Nivéoles dans les années 90. Il m’a fait découvrir la montagne en été et en hiver. Il était venu chez-moi en Lorraine avec Claire et sa première fille.
Après la randonnée journalière qui faisait partie de son travail nous repartions tous les deux en montagne…j’ai le souvenir d’un homme épris de partage qui se mettait à la portée de tous ceux qu’il encadrait.
Je viens d’apprendre son décès par cet article, je suis extrêmement triste, il restera dans mon coeur et mon esprit comme un compagnon qui m’a apporté beaucoup.
Je pense à Claire et à ses filles…

Jean-Roch Boisvert

dit :

Merci Jean-Luc, Je viens de trouver la façon de vous signaler à la fois mon étonnement devant le fait que vous releviez des événements qui remontent à si loin et mon bonheur de savoir que Gilles a pu être un ami pour vous. Je sais qu’il l’a été pour plusieurs. Au plaisir de faire un jour votre connaissance. Jean-Roch B.

Dambrine Michèle

dit :

J’avais aussi bien connu Gilles à la FUB. c’était une personne remarquable et délicieuse que je n’ai jamais oubliée, je pense souvent à lui, mais quelle tristesse.
Bon vélo tout de même à toutes et tous, et espérons que plus de place sera un jour donnée aux cyclistes dans nos rues et partout, citoyens cyclistes mobiles respectueux des autres et de la planète, obligés de côtoyer des véhicule motorisés devenant parfois mais régulièrement de véritables armes contre les usagers « dits vulnérables ».

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