Lectures : Travellers d’Alexandre Kauffmann

Travellers Alexandre Kauffmann

Travellers d’Alexandre Kauffmann

Mon évaluation : 4 étoiles sur 5

À mi-chemin entre l’enquête ethnographique et le récit de voyage, Travellers amène le lecteur à accompagner l’auteur dans son voyage à la recherche de l’esprit backpacker, c’est-à-dire la réalité et les motivations des voyageurs au long cours passant d’une auberge de jeunesse à une autre avec un budget très limité. À la fois anti-touristes et archétype du touriste, héritiers de Kerouac et autres beatniks, ils voyagent cependant à présent sans réelle aventure, au gré des recommandations du Routard et du Lonely Planet, ne rencontrant que leurs semblables à travers les pays les plus exotiques.

Débutant à Paris, dans sa propre ville, Kauffmann se rend cependant vite compte que sa connaissance de la ville fait de lui un guide potentiel et risque de trahir sa position d’observateur et de chercheur. Il part donc pour Khao San Road, quartier backpacker mythique de Bangkok afin d’approfondir son sujet de recherche.

À la fois narrateur et auteur, Kauffmann arrive à nous faire sentir le désœuvrement de certains personnages rencontrés sur la route. Entre la drogue, l’épicurianisme et le rejet de la société occidentale, ce ne sont pas seulement les motivations des voyageurs qu’il recherche, mais aussi leurs caractéristiques majeures. Ainsi, il découvre à quel point le voyageur dit indépendant peut devenir grégaire et rechercher la compagnie de ses semblables, comme si la découverte de nouvelles cultures et la rencontre des populations locales en venait à les lasser.

Ce petit livre se dévore en quelques heures seulement et le ton de l’auteur est direct. Il peut être le point de départ d’une réflexion personnelle sur ses motivations de voyage et sur les choix qu’une vie de backpacking amène parfois inconsciemment à faire. Écrit en 2003, il ne dénote toutefois pas encore du phénomène des tech-nomades, bien qu’il y rencontre un jongleur qui en est certainement un précurseur. C’est peut-être la preuve que des changements importants affectent à présent le milieu backpackers, lequel s’embourgeoisera sans doute encore plus dans les années à venir.

Dans un tel contexte, quelle place reste-t’il pour l’aventure vraie ?

2 Commentaires for “Lectures : Travellers d’Alexandre Kauffmann”

Anonymous

dit :

Bonjour Anick-Marie,

Je serais curieux de connaitre ta définition de « l’aventure vraie » ou du moins d’avoir quelques indices (voyager seul ? se mettre en danger ? Ne pas préparer ? …)

On ne se connait pas mais peut-étre que cet article pourrait t’intéresser :
http://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Solitude/Reponses-d-expert/Je-cherche-toujours-a-me-mettre-en-danger-socialement.

Autrement dit, où se situe la limite entre l’aventure et la fuite ? Entre la découverte de nouveautés et l’éparpillement vers des distractions ? L’ouverture d’esprit et la superficialité ? La largeur ou la profondeur ?

Merci pour tes articles.

Samuel

Globestoppeuse

dit :

Bonjour Samuel,

Excellente initiative que de me demander une définition pour un terme aussi subjectif. Je vais tenter d’en fournir une.

L’aventure, c’est une situation extraordinaire, un évènement ou une suite d’évènements hors du commun. Il y a dans l’aventure une part de hasard, d’impondérable.

Ce que j’entends par « aventure vraie » est en relation au tourisme de masse et aux destinations à la fois exotiques et classiques des backpackers. Le tourisme a bien changé de visage depuis Thomas Cook, avec toutes ses appellations plus ou moins certifiées (écotourisme, ethnotourisme, tourisme d’aventure) et son impact économique majeur. Depuis quelques années, je ne croise plus dans mes voyages européens les hordes de Néo-Zélandais, Japonais, Américains et Canadiens que je croisais auparavant dans les auberges de jeunesse, les trains, les bus, les tours guidés. J’ai commencé à prendre des risques en me faisant héberger chez l’habitant, en faisant de l’auto-stop, en marchant dans les villes sans guide de voyage, sans groupe pour m’accompagner. Et je ne parle pas ici de risque physique à proprement dit, mais plutôt d’une grande variété de conséquences potentielles : ne pas en avoir pour mon argent, rater la visite d’une cathédrale célèbre, me faire quémander de l’argent par des gitans, ne pas avoir d’intimité chez un hôte, perdre mon temps, faire un détour « inutile »…

L’aventure vraie est donc une situation où il y a prise de risque, où la meilleure des assurances ne peut pas intervenir. Et à titre personnel, mon aventure vraie c’est vivre auprès des gens (des villages, des villes mais aussi de la route) et échanger avec eux. Dans les ghettos touristiques où se complaisent les backpackers de Kauffmann, il n’y a plus d’aventure – c’est un monde coupé de la réalité qui l’a fait naître.

Je suis prudente avec l’expression « se mettre en danger » vu ma formation technique en gestion du risque. Le danger est toujours présent sous des formes variées (matières inflammables, objets coupants, personnes mal intentionnées) alors que le risque est lié au degré d’exposition au danger et peut souvent être modulé.

Pour ce qui est de l’article, il soulève à mon avis une toute autre question: être nomade et/ou aventureux est-il un problème ?

J’ai longtemps pensé ma mobilité comme étant anormale, à combattre, et j’en étais malheureuse. On m’avait bien dit que c’était normal de prendre une année sabbatique, un « gap year » comme disent les anglo-saxons, mais s’éterniser sur la route a un côté fuyard, voire même infantile puisque c’est refuser de passer à l’étape suivante: devenir un citoyen productif (c’est-à-dire contribuant au système économique) et éventuellement fonder une famille…

J’ai cessé de voir ma situation comme un problème à partir du moment où j’ai cessé de la combattre, de provoquer mon enracinement dans un système qui ne me convient pas tant au niveau des rythmes que des valeurs. Ma santé mentale ne s’en porte que mieux, ma vie sociale est enrichissante et je n’ai aucun regret. Est-ce une fuite que de le reconnaître ? N’est-ce pas une aventure que d’oser suivre sa propre voix plutôt que celle qui nous semble la plus normale, la plus acceptable ?

À mon avis, c’est un problème si la personne vit une dissonance entre ce qu’elle est (ou ce qu’elle vit) et ce qu’elle croit devoir ou veut vivre…

Merci pour tes commentaires, ils suscitent bien des réflexions !

Laisser un commentaire